1 Présentez-vous en tant qu'auteure.
Je
rejoins sans doute assez le portrait-type du « nouveau
dilettante des Lettres », de cette génération de vingtenaires
et trentenaires aux pratiques d'écriture inscrites dans et nourries
par le web. J'ai un job alimentaire, une page d'auteur sur les
réseaux sociaux, une chaîne YouTube même ; j'ai pris fait et
cause pour les littératures de l'imaginaire, je ne rechigne pas à
auto-éditer certains textes... Je suis juste une version
particulièrement indolente et peu productive de cette nouvelle race
d'auteur ; là où certains de mes camarades enchaînent les
trilogies de romans et les feuilletons, je publie quant à moi assez
peu, et dans des genres assez marginaux : la poésie, le
livre-jeu...
2
Qu'est ce qui vous a donné envie d'écrire ? Depuis
quand écrivez-vous ?
Je
pense que l'envie d'écrire résulte souvent d'une immense méprise :
personne ne réalise à quel point c'est frustrant et compliqué. Il
y a une glamourisation constante de l'occupation d'écrivain :
dans la culture populaire (films, séries télévisées...) mais même
dans les magazines littéraires les plus sérieux. Lorsque je lis un
portrait d'auteur ou d'autrice, il ou elle est toujours
photographié(e) tout sourire, devant une bibliothèque de bois blanc
ou à sa table de dédicace. Rien ne paraît dur là-dedans ! On
a l'impression que c'est une activité à la portée de tous.
Moi,
j'ai commencé à écrire vers mes vingt ans, quand j'étais étudiant
en fac de Lettres. Je suis donc plus à blâmer que la plupart, car
j'avais déjà bouffé par tombereaux de l'histoire littéraire. Je
savais bien combien des auteurs ont pu être misérables, au long des
siècles. Néanmoins, j'avais la naïveté de croire qu'il n'en
serait rien pour moi. Lorsqu'on n'a encore rien publié, l'illusion
est très commune de voir dans son premier texte un best-seller.
Surtout qu'on rabâche sans cesse la success-story d'untel ou
d'unetelle ! Comme beaucoup, j'y ai cru dur comme fer. Puis ma
confiance en moi — ma prétention — s'est lentement
émoussée, et c'était la meilleure chose qui puisse m'arriver.
Cependant,
c'est une maladie incurable. Si bien que, même conscient enfin des
affres du métier, on n'en démord pas. Je doute pourtant que
l'activité d'écriture devienne moins frustrante ou compliquée. Il
faut donc admettre qu'on se rend progressivement masochiste, ou qu'on
parvient à compenser par des joies intérieures les mille peines de
l'enfantement d'un livre. Franchement, je crois que ça touche
parfois à la véritable dévotion, à une forme presque religieuse
de mortification...
3
Quel est votre dernier roman coup de coeur ?
J'ai
tout récemment lu Le
Maître et Marguerite,
de Mikhaïl Boulgakov. C'est un roman fantastique russe, très long,
très drôle. C'est un grand classique, sur lequel on a écrit des
rames et des rames d'analyse : critique du stalinisme, reprise
du mythe faustien... Moi, j'ai surtout eu l'impression de lire une
historiette d'Aloysius Bertrand qu'on aurait étirée sur six-cents
pages. C'est étrange comme on en vient à tracer des parallèles
entre ses œuvres favorites... J'y vois le signe que mes goûts
s'affermissent un peu. C'est un processus naturel, je pense : on
parvient à la longue à déceler une matière
particulière,
qui transcende les genres et les époques. Je suis heureux d'arriver
tout doucement à ce stade, d'avoir assez lu pour assembler au moins
quelques pièces du puzzle propre à chaque lecteur...
4 Y a-t-il des livres qui ont inspiré vos romans ?
Comme
inspiration directe, il me faut citer Jean Ray. Ses nouvelles m'ont
délivré de certaines inhibitions. Par exemple, je me suis rendu
compte qu'il est possible d'écrire des œuvres grandioses tout en se
reposant sur des codes romanesques éculés. On a le droit
d'exploiter des thèmes populaires, de mettre en scène des vampires
ou des loups-garous... Ce qu'il faut craindre, ce n'est pas le motif,
mais le cliché. Auparavant, je voulais être à tout prix original,
à en devenir ridicule. Lire Ray (et aussi des auteurs comme Simenon
ou Thomas Owen) m'a également appris les vertus de la concision.
J'ai toujours été un prosateur verbeux, poussif dans mon style,
tandis qu'eux sont des as de la formule, qui font naître des images
incroyables en quelques mots seulement. Je suis encore très loin du
compte, mais demeure convaincu qu'en étudiant leurs récits, je
pourrai emprunter quelques couleurs à la palette de ces maîtres.
5 Travaillez-vous sur un nouveau roman si cela n'est pas trop indiscret ?
Actuellement,
je me consacre à la suite d'un livre-jeu que j'ai publié l'année
passée (Le
Démon dans l'escalier,
chez Walrus). J'avoue que ça va cahin-caha. Comme je l'écrivais
plus haut, plus les années passent, moins je suis content de moi. Or
si je me passe volontiers de mon ego de tête à claques, j'en viens
à regretter un peu la facilité avec laquelle j'écrivais au
kilomètre, sans pause ni doute...
6
Que ressentez-vous avant la sortie d'un de vos romans ?
Pas
grand-chose, à vrai dire. Certes, je n'ai jamais à proprement
parler édité de roman (à part un que je publie actuellement en
feuilleton sur Wattpad), mais la sortie de mes livres n'a pas été
un si grand moment. Il y a de la joie à la signature du contrat
mais, à la parution, je ressens plus une forme de soulagement. « Ça
y est, c'est sorti. Trop tard pour corriger quoi que ce soit, c'est
définitif. Je peux donc enfin le remiser dans mes archives et cesser
de m'inquiéter à son sujet. » Il faut dire que le processus
éditorial est fort long et que je laisse moi-même reposer assez
longtemps mes textes avant de les soumettre à un éditeur. Du coup,
lorsqu'ils paraissent, je suis passé à autre chose. C'est déjà de
la matière froide, qui est d'ailleurs très désagréable à
retravailler si on nous en fait la demande.
7
Avez-vous une habitude d'écriture ?
Pas
vraiment. J'ai des astuces pour m'éviter de papillonner d'une
distraction futile à une autre, pour m'astreindre à la tâche de
rédiger, mais je manque de discipline pour les systématiser et
prendre réellement de bonnes habitudes d'écriture. Je coupe
internet, je m'impose des quotas minimums de mots, j'écris parfois
en bibliothèque publique... Malheureusement, ces résolutions ne
durent jamais autant que je le voudrais.
8 Que représente l’écriture pour vous ?
J'aime
l'écriture car elle me donne un sentiment de maîtrise que je n'ai
pas forcément à l'oral. C'est pourquoi j'écris volontiers des
lettres : elles suppléent les conversations difficiles. Écrire,
c'est souvent pour moi une manière de faire face à l'imprévu. Si
j'ai à l'avance un débat avec moi-même dans mon journal, je peux
mettre en ordre et tester des arguments pour de futures discussions.
Pour quelqu'un de nature un peu angoissée, comme moi, l'écriture a
donc quelque chose de rassurant. Je pense que mon intérêt pour la
littérature tient un peu de cela ; un livre, même touffu, même
tonitruant, c'est un monde ordonné. De là aussi ma préférence
pour le vers strict, qui est davantage balisé.
9
Appréhendez-vous les retours sur vos romans ?
Ce
que je crains surtout, c'est l'absence totale de retours. Lorsqu'on
est publié par un petit éditeur, qui n'a pas ou que peu de budget
pour un service presse, il peut arriver qu'un livre passe à peu près
inaperçu. C'est la même galère lorsqu'on s'auto-édite : ça
se joue alors au réseau personnel, avec tout ce que cela engage
comme doutes sur l'insincérité des critiques. Je préfère mille
fois le retour sévère d'une personne que je ne connais ni d'Ève ni
d'Adam au silence total ou aux compliments de complaisance.
Questions
du tag
1
Lire sur un canapé ou dans un lit ? Sur
un canapé. J'ai énormément lu dans mon lit quand j'étais ado,
mais je n'y parviens plus du tout.
2
Protagoniste féminin ou masculin ? En
tant qu'auteur, plutôt masculin car je ne veux pas tomber dans
l'artificiel ou dans le stéréotype ; en tant que lecteur, ça
m'est égal.
3
Thé ou café en lisant ? Plutôt
du café. Mais je me suis rendu compte que ça dépend du contexte.
Si je suis à la campagne, chez mes parents, je lirai en buvant du
thé, comme je le faisais quand j'étais plus jeune...
4
Série ou one-shot ? One-shot.
5
Point de vue à la première ou à la troisième personne ?
En
tant que lecteur, ça m'est tout à fait égal. En tant qu'auteur,
j'écris régulièrement à la deuxième personne, pour mes
livres-jeux.
6
Lire le matin ou le soir ? Le
soir. En toute franchise, je ne fais pas grand-chose de mes matinées.
J'ai un rythme de vie un peu décalé, par déformation
professionnelle (je suis barman).
7
Librairies ou bibliothèques ? Bouquinistes !
8
Lecture avec ou sans musique ? Sans.
Mais volontiers avec un bruit de fond, à la terrasse d'un café par
exemple.
9
Livre papier ou ebook ? Je
préfère le livre papier d'occasion à l'ebook, mais l'ebook au
livre papier neuf.
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